Il est souvent difficile de pointer du doigt le moment précis où un sport devient un sport de masse, et où sa popularité augmente significativement. Si la Formule 1 peut par exemple se targuer d’une croissance forte suite à plusieurs saisons de Drive to Survive, sa série Netflix, la NASCAR peut pointer une journée en particulier, où elle est passée de sport du sud des États-Unis, à sport national.
Écouter sur : Spotify | Apple Podcasts | Deezer | Google Podcasts | Amazon Music
Je vais vous raconter aujourd’hui l’histoire du Daytona 500 1979, une histoire faite de course ultra rapide sur un ovale gigantesque, mais également de neige, de télévision, et de bagarre au sens littéral du terme…
La NASCAR, acronyme de National Association for Stock Car Auto Racing, est née en 1949 sous l’impulsion de Bill France. Sport principalement présent dans le sud des États-Unis, il va s’étendre à l’Amérique, avec près de 60 courses par an jusqu’en 1971. A la fin de cette année, France va passer les rênes du championnat à son fils Bill France Jr., qui va faire entrer la NASCAR dans son ère moderne, dès 1972, avec l’arrivée de la mythique Winston Cup, sponsoring qui durera jusqu’en 2003.
Finies les courses en semaine, finies les courses courtes de moins de 400 kilomètres, le calendrier ne se compose désormais plus que d’une trentaine de courses par an, qui gagnent ainsi toutes en standing. Plusieurs épreuves restent les plus importantes de la saison bien sûr, à commencer par le Daytona 500. Créée en 1959, cette épreuve est très rapidement devenue la plus importante de la saison de NASCAR, et une institution aux États-Unis.
La pièce finale du puzzle, pour faire passer la NASCAR dans une autre dimension, était la télévision. C’est ainsi qu’en 1979, pour la première fois, une course de 500 miles, le Daytona 500 en l’occurence, sera diffusée en direct et en intégralité à la télévision, sur CBS. Un honneur qui ne sera fait aux 500 Miles d’Indianapolis que sept ans plus tard, en 1986 !
Pour l’occasion, CBS a mis les petits plats dans les grands, avec deux commentateurs en cabine et trois autres dans les stands et les garages. Sur le plan des caméras aussi, la chaîne a innové, avec la présence pour la première fois de caméras embarquées, et de caméras placées très bas à la sortie des virages, afin de montrer aux téléspectateurs l’impression de vitesse donnée par ces monstres du stock-car.
Des légendes pour une course de légende
Le décor est donc planté, l’édition 1979 du Daytona 500 s’annonce superbe, tant du point de vue de la réalisation que de la course, qui regorge de noms mythiques de cette époque. Buddy Baker, Richard Petty, Darrell Waltrip, Donnie Allison, Cale Yarborough, Bobby Allison, Dale Earnhardt, la légende de l’IndyCar AJ Foyt, voici quelques uns des noms qui vont s’affronter devant une audience gigantesque.
Gigantesque, car ce 18 février 1979 est marqué par une soudaine et très impressionnante tempête de neige, sur tout le nord-est et le Midwest des États-Unis. Dans certains états, il est tombé plus de 60 centimètres de neige en quelques heures à peine, bloquant les gens à leur domicile, forcément !
Et que faire quand on est bloqué chez soi sous la neige un dimanche après-midi ? Allumer la télé, bien entendu ! Et c’est ainsi qu’une audience record de plus de 15 millions de téléspectateurs se presse devant CBS, pour assister au Daytona 500. Pour beaucoup, il s’agit là de leur première course de NASCAR. Ils vont être servis…
L’épreuve débute pourtant sous régime de drapeau jaune, en raison des pluies qui se sont abattues sur la Floride le matin. Le drapeau vert est agité au 16e tour, avec Buddy Baker et Donnie Allison en première ligne devant un peloton composé de 41 voitures.
Dès le 31e tour, premier coup de théâtre ! Les frères Donnie et Bobby Allison s’accrochent, entraînant avec eux le triple champion NASCAR Winston Cup en titre, Cale Yarborough ! Trois des favoris glissent ainsi dans l’herbe trempée de la ligne droite arrière, et voient leurs chances de victoire prendre un sacré coup. Yarborough et Bobby Allison se retrouvent à deux tours des leaders, Donnie Allison accuse un tour de retard.
Comme souvent sur les courses de 500 Miles de l’époque, la fiabilité jouera un rôle important, de même que la qualité des réglages et des voitures bien sûr. Le poleman Buddy Baker abandonnera sur problème moteur dès le 39e tour, d’autres favoris comme David Pearson ou Neil Bonnett seront également contraints à l’abandon.
Bobby Allison perdra plusieurs tours au fil de la course, mais son frère Donnie, ainsi que Cale Yarborough parviendront à revenir dans le tour du leader ! Et à 22 boucles de la fin de l’épreuve, on retrouve Donnie Allison et Cale Yarborough aux avant-postes, avec près d’un demi-tour sur le reste du peloton ! Quand je vous disais que trois favoris étaient impliqués dans l’accident du 31e tour, je ne vous mentais pas, clairement…
Les derniers tours se résument donc à un duel entre ces deux grands champions. Et c’est à l’aube du dernier tour que l’épreuve deviendra vraiment une course de légende. Allison mène toujours devant Yarborough à la sortie du deuxième virage. Yarborough, avec la voiture numéro 11, attaque à l’intérieur. Allison, dans la voiture numéro 1, le pousse jusqu’à l’herbe dans la ligne droite arrière. Yarborough met deux roues dans l’herbe, ce qui déséquilibre sa voiture, il percute Allison et les deux Oldsmobile terminent leur course dans le mur du virage 3 !
Aucun des deux pilotes ne remportera donc le Daytona 500 cette année là, et il faut attendre près de vingt secondes avant de voir les nouveaux leaders dépasser les deux voitures accidentées. Richard Petty ressort du dernier virage en tête devant Darrell Waltrip, et Petty remporte ainsi pour la 6e fois le Daytona 500, un record qu’il améliorera deux ans plus tard, avec une septième victoire. Façon également pour Petty de se venger de l’épreuve de 1976, qu’il a perdue dans la dernière ligne droite après un accrochage avec David Pearson, qui réussira à terminer la course et à s’imposer.
Devant plus de 15 millions de téléspectateurs, la NASCAR s’est montrée sous son meilleur jour, après une course disputée, mettant aux prises plusieurs des stars du sport et se soldant par un accrochage entre les deux leaders qui ne voulaient rien lâcher, et la victoire de Richard Petty, qui était déjà une légende du sport à l’époque. Une excellente journée pour la NASCAR, pour CBS, mais est-ce pour autant suffisant pour rentrer dans l’histoire ?
Non ? Ne vous en faites pas, l’après-course sera légendaire ! Alors que Richard Petty termine son tour d’honneur et roule vers la Victory Lane avec ce qui semble être la totalité de son équipe perchée sur son Oldsmobile, les caméras se dirigent rapidement vers le Turn 3, où sont les voitures d’Allison et de Yarborough.
Mais plutôt que de simplement voir les deux pilotes sortir de leurs épaves, on les voit en train de se battre ! Cale Yarborough et Donnie Allison terminent au sol, se ruant de coups, Donnie étant même aidé par son frère Bobby Allison ! C’est une image qui ne dure que quelques secondes, mais qui deviendra le sujet de conversation principal des américains le lundi matin à la machine à café. La NASCAR était devenue plus que jamais un sport de masse aux États-Unis.
Pour vous donner une idée de l’importance de cette bagarre, le patron de la NASCAR Bill France Jr. A été questionné quelques instants plus tard par des journalistes, qui lui demandaient s’il allait distribuer des amendes aux trois pilotes impliqués. La réponse de France fut brève, et très claire : « Une amende ? Une amende ? Bon sang, je devrais plutôt leur donner un bonus ! »
Pour le commentateur de la course, Ken Squier, « ce qui semblait être un mauvais moment, avec cette altercation, était en fait un point d’exclamation sur tout ce qu’est ce sport. Des pilotes pour qui il est tellement important de gagner qu’ils mettent leurs vies en jeu. Et en fin de compte, ils étaient frustrés, et cette frustration a simplement débordé. »
Squier était également l’un des artisans de la diffusion par CBS de l’épreuve. Pour beaucoup, sans Ken Squier, il aurait encore fallu attendre dix ou vingt ans de plus avant que la NASCAR ne soit enfin diffusée régulièrement à la télévision. Mais à partir de février 1979, croyez-moi, la majeure partie des courses de NASCAR furent diffusées en direct et en intégralité !
Le boom national de la NASCAR est en partie arrivé grâce à la séparation de l’IndyCar en deux championnats dans les années 1990, mais c’est bien lors d’un dimanche de février, marqué par un blizzard incroyable sur la côte est, que le sport a pris une toute autre dimension !
Vainqueur de la course, Richard Petty ajoutera deux ans plus tard une septième victoire au Daytona 500, pour accompagner ses 7 titres de champion de la série principale de la NASCAR. Surnommé le King, il est l’une des légendes de ce sport, dans lequel il est encore actif, via le Legacy Motor Club, qui a pris la suite de sa propre écurie Petty Enterprises.
Poleman malheureux, Buddy Baker prendra sa revanche dès 1980 en s’imposant dans le Daytona 500. Devenu commentateur télé après sa carrière de pilote, il nous a quittés le 10 août 2015, à l’âge de 74 ans.
Enfin, les protagonistes de la bagarre du siècle, Donnie Allison, Bobby Allison et Cale Yarborough, ont continué de marquer la NASCAR De leur empreinte. Donnie Allison s’est imposé 10 fois dans sa carrière et va intégrer l’an prochain le Hall of Fame de la NASCAR, Bobby Allison a lui remporté à trois reprises le Daytona 500 et est devenu champion 1983 de la NASCAR Winston Cup.
Pour Cale Yarborough enfin, à ses trois titres de champion acquis consécutivement se sont ajoutés quatre victoires au Daytona 500, la dernière en 1984, plusieurs victoires à Darlington, Talladega, Charlotte… Il a également obtenu en 1980 le record du nombre de pole positions dans une même saison, 14, un record qui n’a toujours pas été battu.